Un nouveau type de couverture pour les indépendant-e-s
Syndicom a mandaté une équipe de recherche de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse pour élaborer un modèle d’assurance destiné aux indépendant-e-s, aux freelances et aux pigistes. Une validation auprès des membres de Syndicom, d’experts ainsi que des représentant-e-s politiques est en cours.
Texte : Muriel Raemy, paru dans le magazine syndicom no 26, novembre-décembre 2021
Les indépendant-e-s n’ont jamais eu droit à l’assurance chômage. Lors de fluctuations économiques, elles ou ils doivent soit compter sur leurs économies, soit chercher à se faire embaucher en entreprise. Mais que faire quand les commandes n’arrivent tout simplement plus, comme dans le contexte de la pandémie, et/ou que le marché de l’emploi sature ? Syndicom défend les intérêts des indépendants-e-s dans les domaines du graphisme, journalisme, illustration, et photographie des métiers dans lesquels les conditions d’emploi se sont encore dégradées. Leur statut était déjà précaire, la pandémie a révélé le besoin plus criant que jamais d’une protection sociale adéquate pour les indépendant-e-s.
Quelle forme pourrait-elle prendre ? Est-ce qu’un modèle semblable à celui de l’assurance chômage, où employeur et employé-e cotisent à parts égales, serait envisageable ?
Syndicom a posé la question à l’équipe de recherche dirigée par Mathias Binswanger, professeur d’économie à la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse. Un groupe de travail composé de membres syndicalisés dans les branches du graphisme et du journalisme, de la photographie et de l’illustration a accompagné ce processus de manière intensive.
Une assurance souple, mais complexe
L’équipe de recherche s’est penchée sur les différentes formes d’assurance que connaissent déjà plusieurs pays européens. Constat ? Difficile de comparer ces modèles qui, dans leur contexte, fonctionnent plutôt mal. Un des problèmes principaux ? « La sélection adverse. C’est-à-dire que ce sont surtout les personnes dont l’entreprise n’est pas viable qui sont incitées à s’assurer de manière volontaire. Alors que pour celles qui réussissent, une assurance signifie des coûts supplémentaires sans qu’elles n’en profitent jamais. Il y a là un biais moral », résume Tobias Schoch, professeur d’économie empirique en charge du volet statistique de la recherche. L’équipe a donc travaillé à une proposition d’assurance qui soit obligatoire.
Il s’agit d’un nouveau type de couverture, analogue au mode traditionnel de versement des prestations sociales réparties entre l’employé-e et son entreprise : les prestataires indépendants et leurs mandants versent en effet chacun 4% du montant total de la facturation dans ce nouveau fonds, une entrée comptable comparable à la TVA. « La solidarité joue ici un rôle crucial. Les coûts sont répartis collectivement : les mandants prennent en charge une partie des coûts incompressibles inhérents à l’activité indépendante. » Tobias Schoch et son équipe ont modélisé de nombreux scénarios avant d’arriver à ce compromis de quatre pour cent. Ces contributions permettent en effet aux indépendant-e-s de se construire une réserve qui, au bout de la quatrième année d’activité, peut couvrir jusqu’à quatre mois sans revenus et, dès la dixième année, de voir venir toute une année. « La plupart des indépendant-e-s n’ont pas d’assurance perte de gain ou alors une minimale qui couvre 25 voire 50 % de leurs revenus. Les réserves épargnées dans ce nouveau modèle pourraient les assurer pour plusieurs années », conclut Michael Moser, secrétaire central Média chez syndicom.
3 questions à Michael Moser, secrétaire central syndicom pour les médias et la communication visuelle
Pourquoi développer une assurance pour les indépendant-e-s ?
Il est de plus en plus difficile de trouver des emplois fixes dans les branches visuelles et journalistiques, où le travail à la pige devient la norme. Dans ces professions, les personnes n’ont souvent pas d’autres choix que de se tourner vers l’indépendance, ce qui se traduit, dans la plupart des cas, par une détérioration de la protection sociale : les indépendant-e-s ne cotisent pas autant que les employé-e-s et ne se couvrent pas contre l’incapacité de travailler. La pandémie a fortement touché ces secteurs. Nous voulons aller au-delà d’une aide ponctuelle et provoquer des changements structurels qui assurent une protection sociale aux indépendant-e-s sur le long terme.
Les personnes indépendantes sont-elles vraiment en mesure d’exiger une augmentation de 4% de leurs honoraires et de sortir les 4 autres pour cent de leurs poches ?
Ça ne marchera que si cette assurance devient obligatoire. L’effort sera collectif : les mandants doivent participer à l’augmentation des prix, qui tels que pratiqués actuellement sont bien trop bas pour couvrir une prévoyance, une assurance perte de gain en plus des frais fixes. Nous sommes conscients que 4% à cotiser de leur poche pose un défi à beaucoup d’indépendant-e-s. Nous considérons toutefois que c’est faisable, puisque les montants cotisés constituent leurs réserves. Nous allons évaluer les effets concrets d’une telle assurance sur le marché, pour pouvoir envisager, dans un premier temps, des mesures d’accompagnement.
Quand est-ce que cette assurance pourra être contractée ?
Notre but est d’ouvrir la discussion. Je suis sûr que d’autres syndicats et partis politiques vont s’emparer du sujet et proposer des ajustements, voire un nouveau modèle. Notre projet d’assurance permet de lancer le débat de manière proactive en nous plaçant du côté des indépendant-e-s, les grands invisibles de notre système politique. L’assurance individuelle ne peut pas être la seule réponse possible ! Le processus ne fait que commencer. C’est peut-être le projet de toute une génération !
Sources
syndicom magazine no 26