Des adultes en reconversion

Juin 14, 2021

Les trajectoires professionnelles au sein des entreprises se transforment et les carrières changent. Entre aspirations et réalités économiques, de nouveaux modèles de formation continue sont à explorer. Quelques pistes en Suisse.

Texte : Muriel Raemy, paru dans le magazine syndicom no 23, juin-juillet 2021

 

On peut le dire, la formation continue en Suisse est complexe. Elle vient, dans une large mesure, combler les besoins de l’économie de marché, mais il est attendu qu’elle contribue également à maîtriser les défis économiques, sociaux, digitaux, culturels ou encore écologiques. Pour Caroline Meier, membre de la direction de la Fédération suisse pour la formation continue (FSEA), les différents échelons politiques ainsi que la diversité des prestataires publiques ou privés, rend l’éducation tout au long de la vie encore plus difficile à cerner. « Nous faisons face à une révolution au niveau des contenus, des méthodes, voire de la définition même de la formation continue. »

Depuis 2017, la Suisse dispose d’une loi sur la formation continue. Celle-ci fixe les conditions-cadres qui englobent les apprentissages après la scolarité obligatoire – que les cursus soient diplômants ou non formels. Elle n’est malheureusement pas très visionnaire et se concentre avant tout sur la distribution d’aides financières. Avec le programme « Simplement mieux!… au travail», par exemple, la Confédération encourage les entreprises à mettre sur pied les formations qui aideront, à partir des situations concrètes et pratiques vécues sur le lieu de travail, les employé-e-s à développer des savoirs immédiatement mobilisables au quotidien. Certains métiers organisent quant à eux leur propre formation continue, à l’instar du projet « MEM-Passerelle 4.0 », l’initiative de reconversion professionnelle de Swissmem, l’association faîtière des PME et des grandes entreprises de l’industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux – obtenue lors des négociations pour le renouvellement de la Convention collective de travail (CCT) de la branche.

Cette sorte de formation continue reste toutefois fortement orientée, voire réduite, à des fins professionnelles, essentiellement axées sur les compétences techniques et l’exploitabilité directe. « Or aujourd’hui les changements radicaux tels que la numérisation, la raréfaction des ressources naturelles ou le réchauffement climatique demandent d’autres compétences. De celles qui contribueront à résoudre les problèmes complexes des individus, dans les organisations, les communautés, les sociétés ou à l’échelle mondiale.»

 

Vers de nouveaux modèles ?

Sans parler des aspirations d’adultes de plus en plus nombreux à changer de parcours professionnels ou à se reconvertir. Si la loi précise que « la formation continue relève de la responsabilité individuelle », pour Caroline Meier c’est à l’État de fixer les conditions-cadres. « À la FSEA, nous militons pour une réflexion sur la prise en compte des situations individuelles dans la formation, pour un système qui valide les acquis du parcours professionnel et accorde à chacun et chacune d’aller chercher les compétences qui lui manquent. » Le canton de Vaud s’est prononcé en faveur de ce processus par validation des acquis (VAE). Son portail de certification pour adultes évalue et reconnaît les expériences professionnelles dans un domaine spécifique afin que les personnes puissent les faire reconnaître en vue d’obtenir tout ou partie d’un nouveau CFC.

Reste la question cruciale du financement de ces formations et réorientations professionnelles. Pour Syndicom, les droits à la formation et au perfectionnement doivent être inscrits dans les conventions collectives de travail (CCT), très concrètement sous forme de temps, d’offre et d’argent. Ce qui peut se révéler impossible pour certaines entreprises. Le canton de Genève a répondu partiellement au problème en introduisant un chèque annuel de formation, à hauteur de 750 francs suisses par an. Un montant suffisant ? Le modèle du futur viendra peut-être du privé. Le 42 Network offre un cursus de développeur 100 % gratuit !  Admission selon les compétences et non les diplômes – une seconde chance pour tous et toutes !! – méthodes pédagogiques décentralisées, cadence personnalisée sur 2 à 5 ans : est-ce là l’école du futur ? Ce modèle ne parle pas de la manière dont les étudiant-e-s subviennent à leurs besoins, et il n’est certainement pas si simple à répliquer dans toutes les branches. Mais le côté « à la carte » et professionnalisant pourrait bien bousculer les normes, rendant de plus en plus visible le besoin urgent d’un financement public solide. L’année de pandémie fait bouger les fronts : dans les discours tant économiques que sociaux, la sécurité de l’emploi prime désormais sur l’efficience économique. Aux syndicats et au patronat de lutter pour que se former devienne un droit.

 

 

 

Sources

syndicom magazine no 23