L’énergie citoyenne au service de la biodiversité
Alexandra Dutoit est cheffe de projet sensibilisation/éducation à l’environnement à l’Alliance Vaudoise Pour la Nature (AVPN). Elle croit à la motivation des citoyen-ne-s pour transformer leur espace naturel immédiat : un appel à projets pour plus de biodiversité dans le paysage bâti au niveau cantonal vient de leur être lancé.
Entretien : Muriel Raemy
Alexandra, qui êtes-vous, qu’est-ce qui vous motive dans votre activité au sein de l’AVPN[1] ?
Je suis à la base docteure en biologie moléculaire. Un titre et un travail sérieux mais ce que j’aime au fonds ce sont les relations interpersonnelles riches, profondes et sincères qui m’importent et m’apportent beaucoup dans mon quotidien professionnel et privé. J’ai toujours été attirée par l’éducation à l’environnement : j’adore transmettre et vulgariser les mécanismes biologiques, rapprocher la nature des gens et la rendre ainsi précieuse et indispensable. J’ai donc bifurqué, en suivant la formation des Conversations carbone, puis celle de conseillère en environnement auprès du WWF et j’ai continué avec de la gestion de projet. Enrichir les autres, leur donner les outils pour qu’ils soient autonomes et curieux me procure une grande joie.
Vous avez contribué à la mise sur pied de l’action « Nos jardins revivent » en 2019 dans la plaine de l’Orbe, à l’issue de laquelle 128 propriétaires – très précisément – ont arraché leurs thuyas et autres laurelles pour planter des arbustes indigènes bien plus intéressants au niveau biodiversité. Quels outils, qu’ils soient scientifiques ou participatifs avez-vous mobilisés ?
Constater l’envahissement des forêts par la laurelle (le laurier-cerise) me faisait souffrir : le déclic et le moteur de cette action viennent de là.
Commençons par les chiffres : sur le périmètre de la plaine de l’Orbe, les statistiques montrent que 10 pour cent des 31’200 habitant-e-s sont propriétaires. Je m’étais fixée d’en atteindre 5 pour cent, soit 150 personnes. En considérant que toutes ne possèdent pas de jardin individuel, je voulais convaincre 120 personnes, ce qui a été atteint (128 participant-e-s). Pour ce qui concerne la composition des haies, le guichet cartographique vaudois m’a permis de visualiser très concrètement la situation : les thuyas et laurelles entourent 90 pour cent des propriétés. Les 10 pour cent restants sont soit délimités par des barrières ou autre système, soit les haies sont déjà indigènes. La marge de manœuvre était impressionnante !
Nous avons ainsi mis sur pied une offre attractive : nous avons organisé l’arrachage des haies exotiques à un moindre coût pour les propriétaires et la plantation d’arbustes indigènes à la moitié de leur prix.
Nous avions beaucoup travaillé le message de notre projet, pour le rendre positif et surtout éviter l’aspect moralisateur, voire punitif. Une illustratrice avait embelli le projet d’une note joyeuse et vivante. Un guide ludique des bonnes pratiques au jardin a également été distribué.
Nous avons établi une carte SIG de tous les jardins et espaces communaux qui ont participé au projet. Ce petit réseau de haies ainsi créé favorisera sur le long terme de nombreux oiseaux, insectes et petits mammifères.
L’AVPN s’est associée à la Direction générale de l’environnement vaudoise (DGE) pour mettre sur pied un nouvel appel à projets. Quel genre d’actions ou d’idées attendez-vous ?
Je suis très sensible à la pollution lumineuse. J’adorerais voir de nombreuses communes éteindre leur éclairage public de minuit à six heures du matin grâce à un coup de pouce de citoyen-ne-s motivé-e-s comme l’association Perséides à Orbe ou encore les Papillons de nuit à Lausanne. J’ai suivi une formation au SANU sur les toitures végétalisées : la trame verte urbaine est pauvrement mise en valeur ! Et la tonte régulière des prairies est une hérésie écologique : faucher une à deux fois par an favoriserait la flore, fournirait un refuge aux animaux et de la nourriture aux oiseaux ! Bref, je rêve de moins d’entretien ! Et mon plus grand souhait serait qu’une commune et ses habitant-e-s renaturent un ruisseau canalisé.
Vous misez sur l’envie et la motivation des citoyen-ne-s à faire évoluer l’état de la nature près de chez eux : redimensionner les projets à une échelle plus locale et immédiate vous semble plus efficace que l’action des communes ou des cantons ?
La citoyenne ou le citoyen vit dans un lieu qui reste « théorique » pour les autorités. Dans ma pratique, les communes réagissent le plus souvent avec enthousiasme, ou du moins avec intérêt, aux demandes ou observations de leurs administré-e-s. J’espère vraiment, à terme, que des synergies se créent de manière plus automatique, harmonieuse et surtout décloisonnée. Le « chacun dans son coin » ne donne jamais autant de bons résultats que le fruit de concertations et d’échanges de bons procédés.
Comment voyez-vous la suite : de quelle plaine de l’Orbe rêvez-vous en 2030 ? Sur quelles forces s’appuyer pour renaturaliser une ville voire un canton ?
J’espère que, vus du ciel, les espaces urbains dessineront une large palette de verts. Que les corridors biologiques – terrestres et aquatiques – seront restaurés à large échelle. Beaucoup d’arbres doivent être plantés et de nombreuses zones humides recréées pour pouvoir lutter contre le réchauffement climatique et ses conséquences. L’échelle communale est pour moi celle qui permet à chacune et chacun de se réapproprier – avec un coup de pouce financier étatique ou communal, ne le cachons pas – son pouvoir d’agir.
[1] Fondée par quatre ONG – Pro Natura Vaud, WWF Vaud, la Maison de la Rivière et Birdlife Suisse – l’AVPN promeut la protection de la nature et mène des projets sur le terrain dans la plaine de l’Orbe et au niveau du canton.
Sources
avpn.ch/nature-en-ville-appelaprojets