Avec des « et si »

Sep 21, 2022

Noémie Cheval a co-fondé le Réseau Transition Suisse Romande à Bienne en 2019. Par ce biais, elle souhaite multiplier les initiatives de quartiers, de villes, de communes et d’entreprises qui s’engagent sur le long terme pour une Suisse plus solidaire, démocratique et écologique.

Entretien : Muriel Raemy, paru dans le magazine Pro Natura 4/2022

Il est des voyages que l’on peut entreprendre sans culpabiliser ni se sentir écartelé.e entre ses envies et ses convictions. Artisane de l’expérimentation, Noémie Cheval prône le voyage cousu par l’imagination, celui qui envisage des futurs qui donnent envie de se mettre en route, d’agir pour qu’advienne un changement sociétal en profondeur. « Il n’y a pas de recette unique. La transition, c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde. Mais les enjeux sont les mêmes pour toutes et tous : décarbonation de notre économie – de notre alimentation en d’abord – sobriété en ressources, refondation du socle démocratique, coopération ouverte et joyeuse au niveau local. La question qui se pose est de savoir comment y arriver. »

Changer de système

Noémie Cheval commence tôt à voyager vers d’autres possibles. De grandir aux abords de l’aéroport de Bruxelles n’est peut-être pas si anodin. Mais à la découverte des pays lointains, elle préfère celle de l’humain. La jeune femme rêve de travailler dans la coopération et choisit l’anthropologie, une discipline qui s’avère en partie décevante dans sa posture d’observation. La lutte se fera alors sur le terrain politique, au sein de différentes associations, jusqu’à ce que la réalité du changement climatique – thématisé par Jean-Pascal Van Yersele, son professeur en climatologie et ancien vice-président du GIEC – stoppe Noémie Cheval en plein vol. « Je ne l’ai pas cru et pas compris ! Surtout, je n’arrivais pas à intégrer cette donnée dans mon avenir professionnel. » Elle veut alors comprendre comment la résilience se construit et part dans des zones en conflit, au Liban d’abord, puis au sud Kivu, une région congolaise ravagée  par le pillage de ses ressources. Constat en forme de deuil : la « blanche » ne peut que peu comprendre la réalité et que peu changer les choses.

Elle refait ses valises, direction l’Irlande du Nord, où elle découvre la pédagogie participative : des jeunes gens collaborent et portent ensemble des projets qui leur permettent non seulement de retrouver confiance en eux  mais également de contribuer à la société. Enthousiasmée, Noémie Cheval se forme pendant deux ans aux nombreuses méthodes d’éducation populaire. « J’ai vu et expérimenté de l’intérieur ce qu’est le community care : le soin à l’autre et à sa communauté s’incarne très concrètement en Grande-Bretagne. Les Anglais.es sont inspirants, ils ont confiance dans le fait que tout le monde peut changer et que, ensemble, on peut soulever des montagnes. » Elle y retournera pour s’initier à la permaculture.

Une vision positive

C’est encore un Anglais qui va titiller la jeune formatrice qui se démène dans son rôle d’animatrice auprès de personnes parmi les plus précarisées de Bruxelles. Rob Hopkins, initiateur du mouvement des villes en transition – popularisé grâce au film documentaire Demain – veut sortir du récit apocalyptique promis par le réchauffement climatique et qui nous plonge le plus souvent dans l’anxiété et l’impuissance. Son pari ? Stimuler nos ressources créatrices, multiplier les « et si », poser ces questions qui ouvrent les vannes de l’imaginaire et nourrissent l’engagement vers un futur viable et durable. « Je voulais sauver les gens avec lesquels je travaillais alors que le problème était systémique, voire institutionnalisé. J’ai réalisé qu’il fallait collectivement changer d’échelle pour bâtir des communautés et des territoires sains et justes. »

Noémie Cheval s’investit alors dans le Réseau de Transition belge. Intelligence collective, gouvernance partagée, vision positive, permaculture humaine : ses bagages théoriques et pratiques se remplissent tandis que sa vie s’allège. « La transition intérieure était le chaînon manquant à mon engagement militant : la colère a fait place au courage et même si je peste parfois, je m’exerce à regarder ce qui est bon et beau dans le monde, à honorer toutes ces personnes qui luttent. Et nous sommes nombreux.ses ! »

Transition en Suisse

Arrivée à Bienne, par amour, Noémie Cheval co-fonde le Réseau Transition Suisse Romande (RTSR) en 2019, pour soutenir les initiatives de transition qui fleurissent un peu partout en Romandie. Celui-ci s’appuie sur le réseau mondial – plus de 4000 initiatives réparties dans 55 pays – qui attache une importance particulière à la formation et à l’information : de nombreux documents circulent, ainsi que l’expertise des formatrices et formateurs spécialisé-e-s dans les processus participatifs.

A ce jour, le RTSR répertorie quelque 100 projets portés en majorité par des citoyen-ne-s. « Pour amplifier et accélérer la transition, nous devons inciter les villes, les communes et les entreprises à transformer leur modèle économique et social. » Le RTSR organise la venue de Rob Hopkins en Suisse du 29 août au 7 septembre et, nouvelle réjouissante, ce sont majoritairement des villes et des entreprises qui accueillent ses ateliers et ses conférences. Avec des « et si », le monde peut-il changer ? Et si on essayait ?

Sources

 

Réseau Transition Suisse Romande: https://reseautransition.ch

Blog de Rob Hopkins: https://www.robhopkins.net